« Alors que nous essayons d’enseigner la vie à nos enfants,
nos enfants nous montrent ce qu’est la vie. »
Angela Shwindt
Entretien avec Chloé
Directrice des micros-crèches
Que faisais-tu avant d’ouvrir tes micro-crèches ?
J’étais sage-femme et je le suis toujours d’ailleurs. J’ai travaillé pendant 10 ans à l’hôpital de Châlons-en-Champagne. C’est un titre auquel je tiens, c’est ce qui m’a permis d’ouvrir mes micro-crèches et également d’être la référente technique ici. Cela donne une confiance toute particulière aux parents car les sage-femmes ont une bonne presse auprès des parents, donc c’est un métier dont je suis extrêmement fière et dans ma profession de directrice de micro-crèches cela me permet d’apporter des conseils, les parents savent qu’ils peuvent m’appeler que ce soit pendant une grossesse, avant de me confier leur enfant, ou après quand ils ont besoin de conseils, je suis là pour eux.
Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ?
J’essaie de faire une complémentarité entre mon rôle de sage-femme et ce que je souhaite apporter dans l’éveil de la petite enfance ici. J’ai des connaissances car je les ai étudiées, j’ai lu, je me suis documentée énormément, j’ai des personnes ressources et j’ai des enfants également. C’est pour moi une continuité logique à la maternité mais mon vrai dada, c’est l’accouchement, c’est ce secteur que je préfère et encore aujourd’hui. Si ça doit arriver ici ou au centre commercial en face, ils savent qu’ils peuvent m’appeler et je viendrai, j’y suis prête et j’ai ce qu’il faut.
Le fonctionnement des hôpitaux t’a-t-il fait fuir ?
Tout à fait, sa hiérarchie, son fonctionnement, sa lourdeur structurelle m’ont fait fuir, et puis quand j’ai rencontré moi-même des difficultés à faire garder mes filles à cause de mes plannings, ça a été difficile et c’est à ce moment que je me suis posé beaucoup de questions.
Qu’est-ce qui t’a poussé à ouvrir tes micro-crèches ?
Lorsque j’ai donné naissance à ma fille, j’ai essayé une micro-crèche et ça ne s’est pas bien passé car ça ne répondait pas à mes attentes en termes de projet pédagogique. J’ai ensuite fait appel à une assistante maternelle avec qui ça n’a pas collé non plus et j’ai fini par prendre mon frère en nounou à domicile. C’est à cette époque déjà que mon mari m’a soumis l’idée d’ouvrir ma propre crèche dans laquelle je pourrais inculquer les valeurs et le fonctionnement que je souhaite. Je ne me sentais pas prête à quitter la salle d’accouchement qui est selon moi le plus beau métier du monde et puis en 2014 quand je suis tombée enceinte de ma deuxième fille je savais qu’en revenant après mon congé maternité j’allais me retrouver dans une nouvelle équipe à l’hôpital donc je me suis dit que c’était le moment ou jamais de me lancer dans ce projet. J’ai donc commencé à étudier, à lire des livres sur la petite enfance, à me renseigner tout au long de ma seconde grossesse et j’ai eu la chance de rencontrer Ophélie Florin (directrice des micro-crèches Ô pays des merveilles) et ensuite tout s’est mis en route très vite.
Quand tu parles de tes lectures, as-tu des méthodes d’éducation de prédilection ?
Pour les enfants, je suis tous les mouvements, tous les cours. Je ne suis pas une extrémiste d’une méthode en particulier, au contraire j’estime que chaque enfant est différent et donc qu’il faut répondre à chaque besoin. Il y a des enfants pour lesquels Montessori c’est très bien, d’autres Pikler, certains ont besoin d’un cadre strict, je ne veux pas imposer ma manière de penser à tous les enfants. J’impose une manière de faire à mes professionnels dans les crèches mais à l’égard des enfants, on fait selon les mouvements qui leur correspondent.
Tu t’épanouis dans ce que tu transmets avec ton métier ?
C’est ma passion, c’est surtout ce que j’ai ressenti avec la salle de naissance. C’est sacré pour moi et c’est un endroit dans lequel je me suis éclatée et j’ose espérer y remettre les pieds un jour quand j’aurais fait plein de choses pour mes crèches. J’aimerais reprendre des gardes pour retrouver cela, sans les contraintes administratives que j’ai connues et continuer de donner la vie et d’accompagner les parents tout au long du processus.
Si j’ai bien compris, tu as créé ces crèches car tu n’avais pas de réponses à tes besoins ?
Exactement, que ce soit en quantité ou en qualité. Dans mon rôle de directrice de crèches, les parents savent que je me plie en quatre pour eux, j’essaie toujours de les aider à trouver des solutions quand il y a des problèmes, de proposer des choses qui sortent de l’ordinaire tout en respectant notre règlement intérieur. Il y a des contraintes c’est sûr, et ils le savent, mais je suis là pour leur faciliter la vie, pour qu’ils puissent travailler sereinement, qu’ils me fassent suffisamment confiance et qu’ils puissent s’occuper d’eux quand ils me déposent leurs enfants, et surtout savoir qu’on s’occupe parfaitement d’eux pendant leur absence.
Dans quelle mesure le fait d’être maman t’as-t-il poussé et t’a-t-il aidé dans ce projet ?
Le fait d’être maman, forcément c’est une expérience quand même, on se retrouve confronté à ses propres limites aussi assez régulièrement et du coup c’est ce qui nous permet aussi de trouver des astuces qu’on met en place avec nos propres enfants, qui nous permettent de les mettre aussi en place au sein des crèches, d’en discuter avec les autres parents. On se retrouve à pouvoir parler de quelque chose qu’on connaît mais pas que en tant que professionnel aussi personnellement je rencontre les mêmes difficultés et ça existe vous le vivez je l’ai vécu mais je peux rassurer les parents sur le fait que ça va passer. On va trouver les solutions adaptées aux problèmes.
Quand les crèches ont-elles vu le jour ?
La première en juillet 2021, Pirouette Cacahuète, et la seconde en avril 2022, Picoti Picota. J’avais déjà pour projet d’en ouvrir deux côtes à côtes parce que les locaux s’y prêtaient parfaitement et puis la première a été remplie dès l’ouverture, j’avais déjà une liste d’attente donc je savais très bien qu’il faudrait à un moment donné pouvoir répondre aussi à ces besoins car là je déteste dire non aux parents ou leur dire que je n’ai pas de place, je déteste leur dire que je ne peux pas.
Ont-elles une spécificité l’une et l’autre ?
Non, aucune. Les deux crèches sont régies de la même façon, elles ont les mêmes jours d’ouverture, les mêmes horaires, le même nombre de professionnels, le même projet pédagogique cependant chaque équipe est indépendante. Elles expriment et interprètent les choses comme elles le veulent, elles ne fonctionnent pas du tout de la même manière. D’ailleurs il n’y a jamais de turnover entre les deux équipes car les enfants sont habitués à leurs professionnels et inversement.
C’est-à-dire qu’elles s’organisent de manière différente, tu leur laisses une latitude tout de même ?
Tout à fait, elles doivent respecter mes règles mais je leur laisse un cadre qu’elles sont libres d’interpréter comme elles le souhaitent tout en restant tant dans le respect du bien-être de l’enfant que celui des professionnels. Elles organisent des sorties comme elles le veulent et si elles ont pour idée d’organiser des activités, on en discute pour respecter les budgets et l’organisation mais grosso modo je leur laisse un maximum de liberté pour exprimer leurs envies tout en respectant mon cadre de travail.
Quel est ce projet pédagogique qu’elles doivent respecter ?
C’est principalement d’accueillir un enfant dans son individualité au sein d’un groupe, c’est-à-dire le respect de l’enfant en tant qu’être humain, en tant que petit adulte avec son cerveau d’enfant. C’est de pouvoir leur proposer tous les courants de la petite enfance comme Montessori, Pikler, les accompagner vraiment dans l’évolution, dans le développement. On propose des tas de sorties, d’activités, de jeux, on leur met à disposition une salle de relaxation, une salle de jeux d’eau, dans chacune des crèches c’est 180m2 dédiés aux enfants avec également une cour commune où on dirait presque une petite école maternelle quand ils sortent, c’est mignon et c’est une préparation d’ailleurs.
Tu décris vraiment tes crèches comme un lieu d’apprentissage finalement ?
Oui, quand je fais un rapprochement avec une petite école maternelle c’est parce qu’on est vraiment sur un endroit dédié à l’apprentissage, à la découverte, à l’accompagnement de l’enfant mais aussi des parents. Je fais un accompagnement global de la famille, c’est-à-dire un accompagnement de l’enfant dans son développement et un accompagnement des parents dans leur parentalité. Nous sommes ici pour les orienter quand ils rencontrent des problèmes à la maison. On essaie de trouver les choses adaptées à chacun et de respecter le rythme physiologique de l’enfant. Par exemple, ils dorment autant qu’ils le veulent et on inculque petit à petit un rythme. Je suis également là pour les jeunes parents, pour qui c’est le premier enfant, pour soulager la pression et les aider à mûrir en tant que parents. J’accompagne aussi les familles sur le côté administratif, au sujet de la Caf, le CMG ou de la Paje par exemple.
Est-ce qu’il y a une passerelle avec l’école maternelle ?
Non, j’aurais adoré pouvoir faire un échange avec l’école maternelle de Saint-Brice-Courcelles puisque je suis sur le secteur mais malheureusement j’ai des enfants qui viennent de tout horizon, qui vont aller dans plein d’écoles différentes et donc faire une passerelle est assez difficile. Puis j’ai des parents qui auraient besoin de solution de garde même après l’école dans l’idée d’accueillir les enfants le matin, et les récupérer après l’école le soir.
Comment la crèche fonctionne-t-elle quand un enfant est malade ?
Pour le coup je retrouve mon côté sage-femme dans ce cas, c’est-à-dire que souvent c’est moi la première donc je constate et je diagnostique, éventuellement je me mets en lien avec le médecin de la crèche qui est ma mère. Je préviens bien évidemment les parents et je leur donne des conseils appropriés. Comme je suis sage-femme, j’ai bien évidemment formé mes équipes à dépister ces choses et à être en capacité d’accueillir des enfants qui sont malades. Il y a quand même des maladies à éviction où je renvoie les enfants chez eux mais le reste du temps nous sommes opérationnels à nous occuper d’un enfant même malade.
Est-ce que tu fais des séances collectives avec les parents ?
On fait souvent des mails généraux pour les petits principes, les parents savent qu’ils peuvent me contacter dès qu’ils ont les moindres questions, mais pour le moment non. Nous sommes en train de mettre en place ce qu’on appelle des « Cafés des Parents » pour présenter des thèmes au cours de l’année, par exemple pour présenter la langue des signes donc en l’occurrence rien à voir avec les soins mais on veut travailler également sur l’alimentation, le sommeil, les petites maladies etc.
Tu fais face à des contraintes en tant que micro-crèche ?
La PMI pour nous c’est comme une gardienne en gros, c’est elle qui doit s’assurer qu’on respecte les règles légales, le bon développement des enfants, leur bien-être… Malgré tout je ne la vois pas comme une menace, je la vois vraiment comme quelqu’un qui est là pour m’aider si jamais je rencontre une difficulté ou si on rencontre une dérive car on est jamais à l’abri non plus.
On parlait de langue des signes, est-ce que tu enseignes d’autres langues ?
Non, on a choisi d’enseigner la langue des signes pour l’inclusivité et j’ai une fille qui est formée dans chaque crèche, elles font les bases pour ne pas perdre non plus les parents. J’ai une collaboratrice qui leur enseignait une heure d’espagnol par semaine mais c’est sur la base de volontariat et de leurs compétences, je n’impose rien.
Quel est le rôle des parents dans la crèche ?
Les parents n’ont plus grandes volontés de s’intégrer dans la crèche de leur enfant car ils considèrent de plus en plus ça comme le monde de leur enfant. Nous le respectons également, donc on organise des événements importants avec les parents mais dans la vie de tous les jours je n’intègre pas forcément les parents dans la vie de la crèche au quotidien. Nous organisons des événements à Chat Perché par exemple, pour Noël ou alors nous mettons en place des kermesses pour avoir des moments où parents et enfants se retrouvent.
Le mot de la fin ?
Je viens du soin au sens noble du terme, vraiment prendre soin voilà et je l’applique à ce projet de crèche qui répond à un besoin et c’est ça qui est dans la continuité de la construction d’un être inscrit dans la société. J’ai envie d’être là pour les aider à grandir à évoluer et à devenir des petits êtres humains indépendants et autonomes, équilibrés et inscrits dans la société.